Situé dans un faubourg de Compiègne, le camp de Royallieu est l’un des deux principaux centres français de régulation pour la déportation. Il est destiné aux prisonniers politiques, alors que celui de Drancy est réservé aux Juifs.
Est déclaré prisonnier « politique » toute personne arrêtée pour faits de résistance, appartenance à des partis ou groupements dissous, auditeurs de la radio anglaise, détenteurs d’armes, otages ou malchanceux pris dans des rafles.
Le camp de Royallieu avait été aménagé par l’armée française avant 1914. Il avait servi d’hôpital militaire pendant la Grande Guerre, puis à nouveau en 1939-40. De juin 1940 à juin 1941, baptisé Frontstalag 122, il accueillait des prisonniers de guerre français.
Passé ensuite sous le contrôle de la Sicherheitsdienst, il servit de réservoir dans lequel était puisée une partie des otages fusillés par les nazis. Le premier convoi de déportés part le 27 mars 1942, avec à son bord 1.112 Juifs (le dernier convoi, de 300 détenus, part le 26 août 1944 pour être libéré par les Alliés à Péronne).
De mars 1942 à août 1944, 53.787 hommes et femmes ont transité par Royallieu. Vers 14 heures, le 26 avril 1944, a lieu un appel en vue de constituer le convoi qui doit partir le lendemain. 1.700 détenus sont désignés, sans distinction de condition ni d’âge. Lorsqu’ils se préparent fébrilement puis sont rassemblés dans la zone C du camp, ils ne connaissent pas encore leur terrible destination. Quelques-uns signent un formulaire imprimé à destination de leurs proches :
« Je suis transféré dans un autre camp, ne m’envoyez plus de colis, attendez ma nouvelle adresse. »
Au matin du 27 avril, chacun reçoit une boule de pain et un saucisson. La colonne qui se constitue traverse Compiègne derrière un officier SS. Des civils, apeurés et effondrés, osent braver l’interdiction pour faire un dernier adieu aux déportés. En gare de marchandises, on fait s’entasser avec violence les prisonniers dans des wagons à bestiaux. La surpopulation est telle que l’air devient rapidement surchauffé et irrespirable. Il faut se battre pour accéder à tour de rôle aux lucarnes garnies de barbelés et y respirer l’air frais. Suivent quatre jours et trois nuits d’un hallucinant voyage vers la Pologne. Soif, asphyxie et démence transforment certains wagons en cercueils ou cellules d’aliénés. Certains boivent leur urine, d’autres, rendus fous par la souffrance, veulent tuer leurs camarades et ne sont maîtrisés qu’à grand-peine. Les plus forts doivent imposer un semblant de discipline pour éviter le pire.
Le 30 avril en fin d’après-midi, le convoi décharge sa marchandise humaine sur un quai apparemment en rase campagne.